Formation professionnelle dans la recherche et la pratique
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1/2017 Etude de l'IFFP

Le développement des enseignants de la formation professionnelle

Maintenir voire améliorer la qualité de la formation, telle est la préoccupation des instances pilotant le système de formation et des directions d’écoles professionnelles. La professionnalisation des responsables de la formation professionnelle constitue ainsi un véritable enjeu. Une étude menée par le Dr Jean-Louis Berger de l’IFFP a permis d’analyser l’évolution des conceptions et pratiques enseignantes durant la formation. Il ressort de l’enquête menée auprès de 71 enseignants que la confiance en leurs capacités à enseigner est amplifiée lorsqu’un équilibre entre domaine professionnel et aspects pédagogiques et didactiques est atteint. La formation permet également le développement de conceptions et pratiques de gestion de classe plus favorable à l’apprentissage et plus centrées sur les apprentis que sur l’enseignant. L’articulation et la continuité entre formation initiale et mesures de développement professionnel devient dès lors essentielle en vue de poursuivre le développement professionnel.


La professionnalisation des responsables de la formation professionnelle est une préoccupation des instances pilotant le système de formation et des directions d’écoles professionnelles sur laquelle se penchent les sciences de l’éducation. Cette professionnalisation est importante dans le champ de la formation professionnelle en ce qu’elle vise à maintenir voire améliorer la qualité de la formation (par la recherche d’un équilibre entre expertise du champ professionnel et compétences pédagogiques), que ce soit dans les écoles professionnelles, les cours inter-entreprises ou les entreprises. La professionnalisation passe en particulier par un développement conscient et ciblé des connaissances des enseignants, mais aussi de leurs conceptions – relatives par exemple à la bonne manière d’enseigner – lors de leur formation initiale. S’il peut sembler évident que ce développement se réalise durant une formation pédagogique, cela n’est souvent pas le cas. En effet, d’une part, nombre de formations pédagogiques sont critiquées par les participants pour leur manque de pertinence dans la pratique quotidienne, ce qui implique que leur impact est faible. D’autre part, les études concluent souvent à un effet fort limité de ces formations, les pratiques et conceptions du terrain (mentors, cultures d’établissement) ainsi que les pratiques appréciées lors de sa propre scolarité s’imposant face aux pratiques et conceptions que la formation s’efforce de promouvoir.1

Description de l’étude

Les enseignants croient de moins en moins en l’utilité de méthodes pédagogiques visant à s’appuyer sur la motivation extrinsèque des apprentis (p.ex. récompenser et punir).

Dans le cadre d’un projet de recherche s’étant déroulé entre 2013 et 2016, notre objectif était d’analyser dans quelle mesure et comment les conceptions pédagogiques et identitaires ainsi que les pratiques des enseignants évoluent durant leur formation.2 Le projet traitait ces questions dans le cadre de deux activités fondamentales de l’enseignement : la planification des cours et la gestion de la classe. La planification des cours est une compétence sur laquelle les formations pédagogiques mettent l’accent et qui ne s’apprend pas simplement par l’expérience en classe ; elle est essentielle en ce qu’elle permet notamment d’assurer l’adéquation des méthodes d’enseignement aux spécificités du public d’apprentis et de s’assurer que les contenus du plan d’études seront couverts durant le temps du cours. La gestion de classe est importante étant donné le public des apprentis en formation professionnelle : un public souvent plus avide d’un cadre pratique plutôt que scolaire et peu demandeur d’un enseignement en classe comme c’est le cas dans les écoles professionnelles (hors ateliers en écoles de métier). La question de l’identité professionnelle et de son évolution faisait également partie des thématiques du projet étant donné sa pertinence pour le public en transition entre métier pratiqué et profession d’enseignant.3 La formation concernée, délivrée en emploi par l’institut fédéral des hautes études en formation professionnelle, est sanctionné par un diplôme d’enseignant des branches professionnelles exerçant une activité à titre principal dans les écoles professionnelles (60 crédits ECTS). L’étude a eu lieu sur le site de Lausanne.

Les participants de l’étude, qui suivaient tous cette formation, étaient constitués de 71 enseignants, dont 29 femmes et 42 hommes d’un âge moyen de 39 ans. En moyenne, ils disposaient de 2 années et cinq mois d’expérience d’enseignement en école professionnelle avant d’entrer en formation. Ils ont complété à trois reprises un questionnaire, composé d’échelles et de vignettes présentant des situations d’enseignement, évaluant leurs conceptions pédagogiques et identitaires, ainsi que leurs pratiques d’enseignement.

Les principaux résultats tirés des analyses statistiques conduites sur l’évolution des réponses entre les trois temps de mesure sont décrits ci-après. Les implications pour la formation à l’enseignement sont décrites selon le point-de-vue de la responsable de la formation.

Le développement d’un équilibre identitaire entre enseignement et champ professionnel

L’identité professionnelle a été considérée comme définie par divers aspects : le degré d’engagement personnel dans l’enseignement, le sentiment d’efficacité personnelle, ainsi que la perception de diverses expertises liées au sujet (champ professionnel) et aux aspects pédagogiques-didactiques. L’intérêt était de comprendre comment ces aspects pouvaient varier durant la formation pédagogique. Les résultats des analyses révèlent que si l’engagement personnel envers la profession enseignante est déjà élevé à l’entrée en formation et n’évolue par conséquent pas pendant la formation, les sentiments d’expertises changent fondamentalement au fur et à mesure des années de formation : à l’entrée en formation, les enseignants se déclarent avant tout experts de leur sujet autrement dit de leur champ professionnel et bien moins experts aux niveaux didactique et pédagogique. Puis, au fur et à mesure de la formation, leurs sentiments d’expertise relatifs à la didactique et la pédagogie croient, alors que l’expertise du sujet décroit ; un équilibre entre ces expertises se développe. Autrement dit, ils développent une identité enseignante déjà partiellement présente à l’entrée en formation (notamment en termes d’engagement dans la profession) et dans le même temps s’éloignent de leur identité liée au champ professionnel. En corolaire, le sentiment d’efficacité personnelle se développe dans certains aspects de la gestion de classe et de la préparation des cours, soutenant un accroissement de l’identité enseignante.

En résumé, les résultats indiquent que l’identité professionnelle des enseignants de la formation professionnelle est dynamique et malléable. Elle se définit et se développe sous l’influence de multiples facteurs afin d’atteindre un équilibre entre domaine professionnel ou sujet enseigné et aspects pédagogiques et didactiques ; la confiance en ses capacités à enseigner s’amplifie.

Apprendre à gérer la classe en engageant les apprentis plutôt qu’en exerçant l’autorité

Pour résumer, les enseignants en viennent d’une part à prendre confiance en eux-mêmes et d’autre part, ils dévalorisent la préparation des cours (alors que la formation leur en montre la pertinence et les méthodes).

La formation pédagogique a un impact conséquent sur la gestion de classe des enseignants en école professionnelle. Les analyses montrent qu’au fur et à mesure des années de formation, les enseignants croient de moins en moins en l’utilité de méthodes pédagogiques visant à s’appuyer sur la motivation extrinsèque des apprentis (p.ex. récompenser et punir) pour que ces derniers s’engagent dans leur formation. Autrement dit, ils comprennent progressivement que ces méthodes ne sont pas les plus adéquates pour engager les apprentis et qu’il est plus profitable de s’efforcer de renforcer la motivation intrinsèque des apprentis, par exemple en intégrant les intérêts de ceux-ci durant l’enseignement. Dans le même temps, une confiance en soi se développe pour engager les apprentis qui montrent le moins d’intérêt pour les cours et les convaincre qu’ils sont capables de réussir leur formation. En contraste, la formation n’affecte pas la confiance en soi pour discipliner les apprentis dont les comportements sont inadéquats. Dans le même ordre d’idées, la formation agit également sur certaines pratiques de gestion de classe. Les pratiques favorisant l’apprentissage et l’engagement ne sont que peu affectées durant la formation ; par contre, ce sont les pratiques contrôlantes, consistant à imposer aux apprentis une certaine façon de penser et de se comporter tout en ignorant leurs besoins, qui diminuent entre l’entrée en formation et la fin de la formation. Notons que les pratiques visant le soutien à l’autonomie des apprentis et la structuration de l’enseignement (p.ex., fournir des consignes intelligibles, formuler des attentes explicites) sont déjà fortement adoptées au début de la formation, ce qui peut expliquer pourquoi aucun changement statistiquement significatif n’a été découvert. Ces conclusions s’appliquent indépendamment des années d’expérience d’enseignement avant d’entrer en formation, ainsi que du sexe ou de la motivation à devenir enseignant.

En bref, la formation permet le développement de conceptions et de pratiques de gestion de classe plus favorable à l’apprentissage, en particulier, en dissuadant les enseignants d’utiliser des méthodes inadéquates et en leur permettant de prendre confiance en leurs capacités de promouvoir l’engagement des apprentis.

La planification, entre prise de confiance et dévalorisation pédagogique

Au-delà des changements observés dans l’identité professionnelle et la gestion de classe, des effets de la formation ont également été mis en lumière dans la préparation des cours. En particulier, ces effets s’observent dans la façon dont les enseignants considèrent l’utilité, l’intérêt, l’importance (autrement dit la valeur) et leurs propres compétences de planification. La formation leur permet de prendre confiance en leurs compétences à préparer des cours dont la difficulté est adaptée au niveau des apprenants, à organiser le cours pour que les apprenants perçoivent une suite logique dans les contenus ou encore à traduire les objectifs du programme en termes d’activités pédagogiques. Pour autant, planifier les cours n’est pas ressenti comme une tâche plus facile ou moins coûteuse en temps. Autrement dit, la formation n’aurait pas fourni de méthode économique pour planifier et cela reste une tâche difficile. La valeur accordée à la planification évolue et ceci différemment selon le genre : si tous les enseignants tendent à dévaloriser la planification des cours, les hommes le font plus fortement que les femmes. En ce qui concerne les pratiques de planification, l’importance accordée aux raisons administratives dans la préparation des cours (p.ex., tenir compte des objectifs spécifiés dans le plan de formation) augmente au fil du temps, une tendance observée pour l’entièreté de l’échantillon. Au contraire, il aurait semblé évident que les enseignants attribuent une importance croissante aux éléments pédagogiques dans la préparation des cours, par exemple en imaginant comment les connaissances enseignées seront ensuite évaluées, mais ce n’est pas le cas. De plus, une planification partant des objectifs pédagogiques est de plus en plus adoptée par ceux qui avaient le plus d’expérience d’enseignement avant d’entrer en formation ; au contraire, ceux qui avaient une expérience très limitée tendent à adopter de moins en moins ce type de planification au fur et à mesure des années de formation. Ceci montre que les effets de la formation diffèrent selon l’étape de carrière pendant laquelle elle est suivie.

Pour résumer, les enseignants en viennent d’une part à prendre confiance en eux-mêmes et d’autre part, ils dévalorisent la préparation des cours (alors que la formation leur en montre la pertinence et les méthodes). En outre, ils tiennent de plus en plus compte des contraintes administratives dans cette planification. Ceci offre un portrait mitigé de l’impact de la formation dans ce domaine.

1 Voir à ce sujet la note de synthèse suivante : Crahay, M., Wanlin, P., Issaieva, E., & Laduron, I. (2010). Fonctions, structuration et évolution des croyances (et connaissances) des enseignants. Revue française de pédagogie, 172, 85-129. Accessible à : https://rfp.revues.org/2296?lang=fr
2 http://www.iffp.swiss/project/levolution-des-conceptions-des-enseignant-e-s-durant-leur-formation  Ce projet a été financé par le Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique (subside 100019_146351).
3 Bien que le projet ait concerné deux populations d’enseignants, soit les enseignants du secondaire général et les enseignants de la formation professionnelle, seules les conclusions des études conduites sur ces derniers sont résumées ici.

Quelles implications pour la formation pédagogique ?

Des années de pratique dans la formation pédagogique des enseignants des écoles professionnelles ne suffisent pas à nous mettre à l’abri de bonnes surprises et de déceptions lorsqu’il s’agit de résultats de recherches en sciences de l’éducation.

Parmi les résultats évoqués, ceux qui touchent au développement de l’identité d’enseignant et à la gestion de la classe s’inscrivent parfaitement dans notre conception du métier d’enseignant en école professionnelle. En effet, si le Plan d’études cadre pour les responsables de la formation professionnelle détermine les objectifs de formation pour les enseignants en Suisse, la formation à l’IFFP cible l’identité enseignante comme levier principal de développement. Au départ, des professionnels reconnus par la branche deviennent enseignants en vertu de leurs compétences métier. Puis, lorsque nous lisons la phrase suivante dans un travail de fin de formation « Je me suis surprise à dire “ Je SUIS enseignante en informatique et non plus une informaticienne qui donne des cours” », nous comprenons que notre mission est accomplie. Même situation lorsque la gestion de la classe est réalisée par l’engagement des apprentis et non par l’application de la discipline. Nous formons, en effet, des professionnels capables de créer des conditions favorables à l’apprentissage au lieu de prétendre leur transmettre des savoirs relatifs à un métier.

La déception survient lorsque des résultats de la recherche indiquent que la préparation des cours reste une tâche difficile et qu’elle en vient à être considérée de plus en plus fortement à des fins administratives plutôt qu’à des fins pédagogiques. Véritable paradoxe, si l’on se réfère aux changements identitaires ou au sentiment d’efficacité personnelle accru des participants à la recherche. Certes, nous connaissons les pressions que les enseignants professionnels subissent dans leur contexte scolaire ainsi que la responsabilité qu’ils portent quant à la réussite aux examens CFC des apprentis ; nous percevons également la difficulté de durer dans ce métier. Il nous appartient alors de nous interroger sur la pérennisation des acquis de formation en vue de la construction de compétences qui accompagnent et soutiennent l’activité jusqu’à la fin de la carrière professionnelle de ces enseignants. Cette pérennisation repose sur une articulation voire une continuité entre formation initiale et mesures de développement professionnel, notamment le suivi de formations continues.

Citation

Berger, J., & Albornoz-Beneito, A. (2017). Le développement des enseignants de la formation professionnelle. Transfer. Formation professionnelle dans la recherche et la pratique 2(1).

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