Formation professionnelle dans la recherche et la pratique
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Etude « Parcours professionnels sûrs en période d'incertitude ? »

Temps incertains – carrières incertaines ?

Les parcours professionnels ont beaucoup changé, les carrières au sein d’une même entreprise de l’entrée dans la vie professionnelle à la retraite deviennent de plus en plus rares. Cela crée des incertitudes de carrière qui peuvent avoir un impact défavorable sur la satisfaction, la santé physique et psychique ainsi que la performance des travailleurs. C’est ce que fait ressortir le projet « Parcours professionnels sûrs en période d’incertitude ? » soutenu par le Fonds national (FNS). Dans le cadre de l’étude, un questionnaire pour la mesure de l’incertitude du parcours professionnel, utile à l’orientation de carrière, a également été élaboré et validé. Le présent article montre que les personnes interrogées dans le cadre de plusieurs études ressentent particulièrement une incertitude par rapport à leur retraite.


De nos jours, les personnes qui travaillent ressentent souvent une incertitude à propos de l’évolution de leur carrière. La mondialisation, les changements économiques et le progrès technologique rapide contribuent à transformer les parcours professionnels. Des phénomènes actuels tels que la pandémie du Covid-19 posent des défis supplémentaires à l’économie et aux personnes qui travaillent. Le chômage et le chômage partiel augmentent, diverses entreprises craignent la faillite.

Le sujet des incertitudes perçues au niveau du parcours professionnel revêt une grande importance depuis de nombreuses années pour la recherche et la pratique.

Le sujet des incertitudes perçues au niveau du parcours professionnel revêt une grande importance depuis de nombreuses années pour la recherche et la pratique. Par le passé, on discutait plus souvent de l’incertitude subjective par rapport à l’emploi – à savoir la peur de perdre son emploi. À présent, le thème de l’incertitude au niveau du parcours professionnel gagne également en importance. Spurk, Hofer et Hirschi (2017) définissent cette incertitude au niveau du parcours professionnel comme « des inquiétudes et des idées liées au fait que des caractéristiques essentielles du contenu du parcours professionnel futur pourraient se développer dans une direction indésirable ». En comparaison avec l’incertitude par rapport à l’emploi, l’incertitude par rapport au parcours professionnel englobe par exemple une période nettement plus longue et d’autres aspects de contenu qui sont essentiels pour un développement réussi de la carrière.

Nouveau questionnaire élaboré et validé

Le présent projet « Parcours professionnels sûrs en période d’incertitude ? » réalisé à l’Université de Berne avec le soutien du Fonds national suisse (FNS) (numéro de projet : 100019_162680) s’est penché sur ce sujet d’avril 2016 à septembre 2019. Il a examiné les méthodes de mesure possibles, les causes et les impacts de l’incertitude de carrière. Des méthodes qualitatives et quantitatives ont été utilisées, parmi elles des interviews ainsi que des sondages en ligne à grande échelle en Suisse et à l’étranger.

L’équipe du projet, composée du Prof. Spurk, du Prof. Hirschi et du Dr. Hofer, a développé et validé conjointement avec d’autres chercheurs internationaux un questionnaire pour la saisie de l’incertitude de carrière, le Multidimensional Career Insecurity Scale (MU‑CI‑S). Ce questionnaire valide et fiable englobe huit dimensions de l’incertitude de carrière (par ex. incertitude de carrière/possibilités de carrière, incertitude de carrière/interactions entre le travail et le non-travail), chacune saisie au moyen de quatre affirmations différentes. Le traitement du questionnaire dure environ huit minutes.

Le MU‑CI‑S n’a été utilisé jusqu’à présent que dans la recherche. Le département de psychologie du travail et de l’organisation de l’Université de Berne relève régulièrement le manifestations de l’incertitude de carrière. Ceci permet par exemple de comparer l’incertitude de carrière des travailleurs en Suisse avant et après la pandémie du Covid-19. Le questionnaire présente également une grande utilité pour l’orientation de carrière. L’identification de huit dimensions de l’incertitude de carrière et leur saisie validée permettent de porter sur l’incertitude des clients un regard systématique et plus différencié que par le passé. Après la publication scientifique du MU‑CI‑S, il sera mis à la disposition de la pratique de l’orientation.

Résultats du projet de recherche

Un sondage en ligne réalisé en 2018 auprès de 1448 personnes travaillant dans le secteur privé en Suisse alémanique montre que le sujet de l’incertitude du parcours professionnel préoccupe beaucoup de travailleurs. Ils font état de trois incertitudes différentes – de l’entrée dans la vie professionnelle à la retraite. Dans l’ensemble, l’incertitude par rapport au parcours professionnel est modérée en Suisse alémanique. On constate toutefois de grandes différences d’un individu à l’autre. D’un côté, il y a des personnes qui ne sont pas d’accord ou peu d’accord avec de nombreuses affirmations du MU-CI-S, c’est-à-dire qui ne ressentent que peu d’incertitudes par rapport à leur carrière. D’un autre côté, il y a des personnes qui se disent tout à fait d’accord avec de nombreuses affirmations et perçoivent donc une incertitude élevée. Des sondages en ligne en Suisse et à l’étranger ont par ailleurs montré que le sujet de l’incertitude de carrière concerne des travailleurs de toutes les tranches d’âge, indépendamment de leur niveau de formation. On peut néanmoins observer différentes expressions des dimensions de l’incertitude de carrière. Nous examinons ci-après de manière plus approfondie trois de ces dimensions (incertitude de carrière/possibilités de carrière, incertitude de carrière/interactions entre le travail et le non-travail, incertitude de carrière/retraite). Nous discutons ensuite les impacts possibles de l’incertitude de carrière du point de vue d’un développement durable du parcours professionnel.

Tableau 1. Degré de l’incertitude de carrière dans différents pays (Spurk & Hofer, 2017).

Tableau 1. Degré de l’incertitude de carrière dans différents
pays (Spurk & Hofer, 2017).
Remarque. N = 404 en Allemagne, N = 145 en Suisse ; M = moyenne ; échelle de réponse de 1 = pas du tout d’accord à 5 = tout à fait d’accord ; a = différence significative entre l’Allemagne et la Suisse au niveau 0,05.


Tableau 2. Exemples d’affirmations relatives à trois dimensions de l’incertitude de carrière du MU-CI-S selon Spurk et al. (2017). der MU-CI-S nach Spurk et al. (2017).

Tableau 2. Exemples d’affirmations relatives à trois dimensions de
l’incertitude de carrière du MU-CI-S selon Spurk et al. (2017).
der MU-CI-S nach Spurk et al. (2017).
Remarque. Échelle de réponse de 1 = pas du tout d’accord à 5 = tout à fait d’accord.

Le tableau 1 compare les résultats de deux sondages en ligne (Allemagne, N = 404 et Suisse alémanique, N = 145). Il montre que le degré d’incertitude de carrière perçu varie selon la dimension. On constate par ailleurs que les travailleurs en Allemagne ressentent une plus grande incertitude quant à leurs possibilités de carrière que le groupe de comparaison suisse.

Incertitude de carrière/possibilités de carrière. L’une des huit dimensions du MU-CI-S relève l’incertitude de carrière au niveau des possibilités de carrière. Un exemple d’affirmation figure dans le tableau 2 (Spurk et al., 2017). Parmi les aspects thématiques de cette dimension comptent par exemple les sujets de la promotion, de la responsabilité de direction ou de la formation « on the job ». Les résultats du sondage en ligne en Suisse indiquent que l’incertitude de carrière/possibilités de carrière est plutôt peu élevée en comparaison avec les deux autres dimensions discutées ici (M = 2,33 [écart-type = 0,98] ; médiane = 2,25 ; mode = 1,00 ; N = 1448).

Incertitude de carrière/interactions entre le travail et le non-travail. Une autre dimension du MU CI S saisit l’incertitude de carrière par rapport aux interactions entre le travail et le non-travail. Ceci comprend des incertitudes relatives à des interactions indésirables entre divers domaines de la vie tels que le travail, la famille ou encore les activités de loisirs, y compris le sport, le bénévolat ou les formations continues que l’on suit de son propre gré. Les résultats du sondage en ligne en Suisse alémanique suggèrent que les travailleurs de 30 à 39 ans perçoivent l’incertitude de carrière/interactions entre le travail et le non-travail autrement que les personnes de 50 à 59 ans (figure 1). Les travailleurs plus jeunes (M = 2,74 [écart-type = 1,10] ; n = 442) présentent des valeurs significativement plus élevées que les plus âgés (M = 2,53 [écart-type = 1,09] ; n = 250 ; t(690) = 2,50, p < 0,05).

Figure 1. Réponses (en %) pour l’affirmation « Je suis préoccupé par l’idée que mon travail et ma vie privée pourraient s’influencer à l’avenir d’une façon indésirable » ; n = 442 (personnes âgées de 30 à 39 ans), n = 250 (personnes âgées de 50 à 59 ans).

Figure 1. Réponses (en %) pour l’affirmation « Je suis préoccupé par l’idée que mon travail et ma vie privée pourraient s’influencer à l’avenir d’une façon indésirable » ; n = 442 (personnes âgées de 30 à 39 ans), n = 250 (personnes âgées de 50 à 59 ans).

Incertitude de carrière/retraite. En raison du vieillissement de la société et du relèvement de l’âge de la retraite, il y a de plus en plus de travailleurs âgés. Mais pour les travailleurs plus jeunes également, le sujet de la retraite est important, par exemple lorsqu’il s’agit de mettre en place une prévoyance vieillesse, comme cela a été confirmé dans le cadre d’entretiens avec des travailleurs et d’ateliers d’experts. Le contenu de la dimension incertitude de carrière/retraite est la transition de l’activité professionnelle à la retraite, avec comme thèmes centraux le montant et l’âge de la retraite (cf. exemple d’affirmation dans le tableau 2). Les résultats du sondage en ligne en Suisse alémanique font ressortir que l’incertitude de carrière/retraite constitue la forme la plus présente d’incertitude quant au parcours professionnel (M = 3,68 [écart-type = 0,90] ; médiane = 3,75 ; mode = 4,00). On constate par ailleurs que les femmes (n = 727, M = 3,73 [écart-type = 0,89]) manifestent une incertitude de carrière/retraite significativement plus élevée que les hommes (M = 3,63 [écart-type = 0,92] ; n = 716) (t(1441) = 2,07, p < 0,05).

La figure 2 montre le comportement de réponse de 1448 travailleurs et travailleuses interrogés en Suisse pour une affirmation relative à la retraite. 46 % se disent tout à fait ou plutôt d’accord avec l’idée que leur transition de la vie professionnelle à la retraite pourrait s’avérer plus défavorable qu’ils ne l’attendent. 27 % se disent en partie d’accord avec cette affirmation.

Figure 2. Réponses (en %) pour l’affirmation : « Il se pourrait que ma transition de la vie professionnelle à la retraite s’avère plus défavorable que prévu. » N = 1443.

Figure 2. Réponses (en %) pour l’affirmation : « Il se pourrait que ma transition de la vie professionnelle à la retraite s’avère plus défavorable que prévu. » N = 1443.

Développement durable du parcours professionnel malgré l’incertitude de carrière

La recherche sur le thème de la durabilité (du développement) du parcours professionnel suggère qu’une carrière durable se reflète dans des travailleurs satisfaits (happy), sains (healthy) et productifs (productive) (De Vos, Van der Heijden, & Akkermans, 2020).

Satisfaction. La mesure dans laquelle les travailleurs sont happy devrait selon De Vos et al. (2020) se manifester dans la satisfaction ainsi que le succès de carrière des travailleurs. Spurk et Hofer (2018) ont montré qu’en Suisse alémanique et en Allemagne, les personnes qui perçoivent dans l’ensemble une moindre incertitude de carrière font état d’une plus grande satisfaction de vie que les personnes ressentant une incertitude de carrière plus élevée. Il est intéressant de noter que la dimension incertitude de carrière/retraite a moins d’impact sur la satisfaction de vie que d’autres dimensions de l’incertitude de carrière.
Santé physique et psychique. La mesure dans laquelle les travailleurs sont healthy devrait selon De Vos et al. (2020) se manifester dans leur santé physique, un moindre niveau de stress et leur bien-être général. Höge, Brucculeri et Iwanowa (2012) ont montré que les personnes avec une moindre incertitude de carrière présentent un plus grand bien-être. Les résultats du projet de recherche de l’Université de Berne confirment cette corrélation (Spurk & Hofer, 2018) : les personnes percevant une moindre incertitude de carrière font également état d’une meilleure santé que les personnes ressentant une incertitude de carrière plus élevée. Par ailleurs, on a pu établir des liens avec l’état de santé physique (Hofer, Spurk, Hirschi, De Cuyper, & De Witte, 2017 ; Spurk, Hofer, Hirschi, De Cuyper, & De Witte, 2018), les états dépressifs (Hofer et al., 2017) et l’épuisement (Spurk et al., 2018). Comme l’avaient déjà exposé Spurk et Hofer (2018), on peut considérer que l’incertitude de carrière multidimensionnelle constitue l’un de plusieurs facteurs susceptibles de nuire à moyen ou long terme à la santé physique et psychique.

Les résultats du projet de recherche de l’Université de Berne suggèrent que les personnes ressentant une incertitude de carrière élevée ont une performance réduite.

Performance. Le degré de performance des travailleurs se reflète dans leur performance de travail, l’Organizational Citizenship Behavior (comportement volontaire au lieu de travail ayant un impact favorable pour l’entreprise ; Nerdinger, 2014, p. 1137) ainsi que leur employabilité sur le marché du travail (De Vos et al., 2020). Les résultats du projet de recherche de l’Université de Berne suggèrent que les personnes avec une incertitude de carrière élevée sont moins performantes (Spurk & Hofer, 2018). L’incertitude de carrière des travailleurs n’est donc pas un sujet qui concerne uniquement la planification du parcours professionnel individuel puisqu’elle peut également avoir un impact défavorable sur la productivité des entreprises.

Pour toutes questions, n’hésitez pas à vous adresser par courriel à Annabelle Hofer ou Daniel Spurk.

Littérature

  • De Vos, A., Van der Heijden, B. I., & Akkermans, J. (2020). Sustainable careers: Towards a conceptual model. Journal of Vocational Behavior, 117. doi:10.1016/j.jvb.2018.06.011
  • Hofer, A., Spurk, D., Hirschi, A., De Cuyper, N., & De Witte, H. (2017). The Nature and Measurement of Career Insecurity: Development and Initial Validation of a New Scale. Vortrag auf dem 19. Kongress der European Association of Work and Organizational Psychology, Dublin, Irland.
  • Höge, T., Brucculeri, A., & Iwanowa, A. N. (2012). Karriereunsicherheit, Zielkonflikte und Wohlbefinden bei Nachwuchswissenschaftlerinnen und ‑wissenschaftlern. Zeitschrift für Arbeits‑ und Organisationspsychologie A&O, 56(4), 159–172. doi:10.1026/0932-4089/a000088
  • Nerdinger, F. (2014). Organizational Citizenship Behavior (OCB). In M. A. Wirtz (Hrsg.), Dorsch – Lexikon der Psychologie (18. Aufl., S. 1137). Bern: Hogrefe Verlag.
  • Spurk, D. & Hofer, A. (2017). Laufbahnunsicherheit: Was ist das genau und wie können wir diese messen? Vortrag im Rahmen der Weiterbildung SDBB: Neues aus der Berufswahl‑ und Laufbahnforschung. Bern, Schweiz.
  • Spurk, D., & Hofer, A. (2018). Die Laufbahn ist ein glitschiger Parcours. UniPress. Forschung und Wissenschaft an der Universität Bern, 173, 11–12. Abgerufen am 20. Februar 2018
  • Spurk, D., Hofer, A., & Hirschi, A. (2017). Was ist Karriereunsicherheit? Konzeptionelle Eingrenzung und Entwicklung eines Messinstruments. Vortrag auf der 10. Tagung der Fachgruppe Arbeits‑, Organisations‑ und Wirtschaftspsychologie der Deutschen Gesellschaft für Psychologie, Dresden, Deutschland.
  • Spurk, D., Hofer, A., Hirschi, A., De Cuyper, N., & De Witte, H. (2018). Career Insecurity as Multidimensional Construct: Conceptualization and Development of a New Scale. Vortrag auf dem 78. Annual Meeting of the Academy of Management, Chicago, Illinois, USA.
Citation

Hofer, A., & Spurk, D. (2020). Temps incertains – carrières incertaines ?. Transfer. Formation professionnelle dans la recherche et la pratique 5(2).

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